M. Ergère u.a. (Hrsg.): Fonctionnaires dans la tourmente

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Titel
Fonctionnaires dans la tourmente. Épurations administratives et transitions politiques à l’époque contemporaine


Herausgeber
Bergère, Marc; Jean Le Bihan
Reihe
L'équinoxe
Erschienen
Chêne-Bourg 2009: Editions Georg
Anzahl Seiten
299 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Elisabeth Salvi

Après le collectif de Paul Gerbod, publié il y a plus de trente ans1, l’ouvrage édité par Marc Bergère et Jean le Bihan, quatrième titre de la collection de sciences humaines, dirigée parMichel Porret, rouvre le dossier de l’épuration. Selon les choix de renouvellement scientifique de l’Équinoxe, les recherches, présentées ici, croisent les travaux portant sur la sociologie des élites qui réfléchissent à la nature du lien entre l’État et ses agents en période d’exception politique dans la France des XIXe-XXe siècles. L’ouvrage confronte le recours à l’épuration, considéré comme un mode privilégié mais non exclusif de régulation des cycles politiques. Par ailleurs, il procède d’une approche comparative avec les travaux effectués en Allemagne et en Italie dans la première moitié du XXe siècle.

Si le mot «fonctionnaire» naît dans les années 1750 dans l’administration royale de la marine et de la guerre, et désigne après 1850, toute personne chargée d’assurer la bonne marche des services publics, la signification de la notion d’«épuration», empreinte d’une certaine radicalité attachée aux mesures de salut public, a muté durant ces deux derniers siècles. Désignant principalement l’élimination de fonctionnaires, elle va s’appliquer à des décisions moins sévères qui demeurent néanmoins d’authentiques mesures d’exclusion dans les groupes professionnels réputés sensibles, tels par exemple ceux appartenant au monde policier et préfectoral en raison de leur visibilité ou encore à celui des magistrats. Alain Bancaud, en consacrant un article sur le Conseil d’État et la magistrature judiciaire, pointe le coeur de la problématique de ce recueil : la conviction et la prétention du pouvoir politique à incarner la légitimité suprême en intervenant dans le choix des juges (p. 144).

Selon Serge Bianchi, à la Révolution, la notion de magistrature professionnelle est éliminée au profit d’une élection des juges par le peuple. Ainsi, en 1790, 7000 juges de paix sont désignés sur le territoire français, pour assurer des tâches de justice civile, pénale, voire de conciliation. À ce personnel judiciaire local, il faut ajouter les 3500 magistrats des tribunaux de district, ainsi que les 330 juges des tribunaux criminels de département, ce qui consolide une administration centralisée et hiérarchisée où la garantie de l’ordre social prend le pas sur les libertés locales. À ce titre, l’exemple du préfet de la Marne (1800-1838), Claude Laurent Bourgeois de Jessaint – rapporté par Pierre Karila-Cohen – illustre la capacité des fonctionnaires à faire face à la succession de six régimes, du Consulat à la Monarchie de juillet. Pour expliquer ce maintien, l’historien remonte les réseaux de sociabilité et souligne l’importance des liens estudiantins ou encore confessionnels, renforçateurs d’une légitimité de type traditionnel, marquée par les origines familiales et la propriététerrienne.

Dans ce contexte, Arnaud-Dominique Houte, historien de la gendarmerie, s’interroge sur la sécurité publique de la France révolutionnaire avec les anciens agents de la monarchie. Si la question du patriotisme de l’ancienne maréchaussée n’est posée qu’au moment de la Terreur, il insiste sur l’ampleur et la nature des représailles qui varient fortement au cours de la douzaine de purges qu’il recense au XIXe siècle: faible à l’échelle de la haute fonction publique, l’épuration croît selon la position subalterne des gendarmes lesquels sont astreints, sur le plan corporatif, à une culture d’obéissance légaliste.

Emmanuel Bellanger s’interroge quant à lui sur les carrières des secrétaires de mairie de l’agglomération parisienne laquelle concentre la moitié de la croissance urbaine française. À partir de 1880, l’activité municipale de cette région se structure et gagne en légitimité grâce à une reconnaissance politique du pouvoir local. La professionnalisation des mairies, induite par la rationalisation et le corporatisme, favorise la continuité administrative centralisée. Emblème de l’entre-deux-guerres, la création, en 1922, de la première école nationale d’administration municipale de France (ÉNAM) symbolise l’obligation politique etmorale de l’État de soutenir et d’encadrer une population éprouvée par la Grande Guerre et par l’essor économique et urbain qui s’ensuit. Dans ce contexte, l’épuration demeure néanmoins limitée et, bien que les municipalités soient placées au coeur des dispositifs d’encadrement et de fichage responsables de l’épuration, les élèves de l’ÉNAM bénéficient – sous le régime de Vichy – de la forte collusion politique et administrative née dans les années 1920-1930 entre les préfectures et les mairies de la Seine.

En Allemagne, selon Marie-BénédicteVincent, la définition du haut fonctionnaire de formation juridique, le Volljurist, issu de la monarchie prussienne, évolue entre 1914 et 1945. Toutefois, l’étude souligne un certain nombre d’inadéquations découlant de l’adhésion des hauts fonctionnaires à un ordre monarchique autoritaire voire du recrutement calqué sur le profil des élites traditionnelles (nobiliaires, agraires et protestantes). En effet, la persistance du Volljurist hypothèque la consolidation de la République deWeimar, car les fonctionnaires réfractaires à la démocratie rejoignent les rangs du camp antirépublicain. Après 1945, la procédure de dénazification se solde par le retour de fonctionnaires compromis et la dernière loi de réintégration (avril 1951) autorise la réinsertion des personnes «chassées» après la chute du Troisième Reich. Bien que les fonctionnaires de la RFA soient astreints à la défense de l’ordre constitutionnel, l’auteur constate une surreprésentation confessionnelle. Ces disparités, renforcées par l’autorecrutement et la grande absence des femmes (seulement 15 femmes sur 900 titulaires concentrés dans les ministères de la Jeunesse, de la Santé et de la Famille), consolident le triomphe des juristes (97% ont terminé une formation universitaire, 71% possèdent un doctorat) ; elles soulignent aussi la continuité du personnel administratif de l’Ancien Régime en dépit d’un passage à la démocratie.

La relecture du phénomène d’épuration permet d’appréhender les enjeux d’une reconstruction à la fois juridique, diplomatique et politique,mais aussi sociale et culturelle comme le montreValeria Galimi qui étudie, pour la Toscane, la question des préfets (capi provincia) nommés dès le 30 septembre 1943 par le gouvernement de Salò. Dans cet exemple, le décret du 27 juillet 1944 sur la punition des délits contre le fascisme ne prévoit que l’incrimination de collaboration avec l’ennemi jugée contradictoire avec la fidélité due à l’État, ignorant les agissements de la période du Ventennio.

Cet ouvrage, postfacé parMarc Olivier Baruch, ouvre des pistes méthodologiques novatrices pour l’histoire de l’État contemporain «en remplaçant le paradigme des épurations par celui des transitions politiques » (p. 285). Ce prisme, marqué par une multiplicité de chronologies, permet d’appréhender la complexité des temporalités et de rendre compte de la nature de l’épuration dont l’un des objectifs serait celui de l’adaptation de l’administration à l’action politique. Enfin, il confirme l’intérêt scientifique de la collection qui met à la disposition des chercheurs et d’un large public intéressé un livre rigoureux et passionnant.

1 Paul Gerbod et al., Les épurations administratives aux XIXe et XXe siècle, Genève: Droz, 1977.

Citation:
Élisabeth Salvi: Compte rendu de: Marc Bergère, Jean Le Bihan (dir.), Fonctionnaires dans la tourmente. Épurations administratives et transitions politiques à l’époque contemporaine, Chêne-Bourg: Georg, L’Équinoxe, 2009. Première publication dans: Revue historique vaudoise, tome 118, 2010, p.275-276.

Redaktion
Veröffentlicht am
19.06.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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